Aujourd’hui, je vous parle de L’école emportée de Kazuo Umezu, un manga “patrimoine” plus que jamais d’actualité, qui fêtera ses 50 ans l’année prochaine et ressort chez nous en juillet.
L’école emportée est un manga paru entre 1972 et 1974 dans le magazine Weekly Shōnen Sunday (Shōgakukan) et que l’on connaît chez nous sous la forme de six petits et épais tomes (format dit bunko) sortis en 2004–2005 chez Glénat.
Souvent appelé père ou dieu du manga d’horreur, Kazuo Umezu a effectivement énormément œuvré pour le genre. Le choc n’en est que plus grand lorsqu’on découvre son apparence fantasque et colorée.
Umezu (ou plutôt Umezz selon sa préférence) est ce que l’on appelle un véritable personnage. Toujours habillé de rayures rouge et blanche, son sourire enfantin n’a d’adversaire que son regard malicieux. C’est le genre de type à construire un manoir excentrique à son image (dans lequel il aime recevoir ses invités du monde entier), à chanter des chansons en italien et porter une chaussette rouge et une chaussette verte, peu importe s’il a désormais plus de 80 ans.
Comme d’habitude, avant de parler plus en détail du manga, il nous faut retracer en quelques lignes le parcours de son créateur afin de mieux en comprendre les tenants et aboutissants.
Kazuo Umezu naît le 3 septembre 1936 dans la préfecture de Wakayama et il grandit dans la région du mont Kōya, en pleine nature avec ses parents. Il aime à raconter que, dès ses 7 mois, sa mère lui met un crayon en main et lui apprend à dessiner des cercles, puis à transformer ces cercles en fleurs. Grand bien lui en a pris, car le petit Kazuo se découvre une passion sans faille pour cet art et y consacre tout son temps. Car forcément, à la fin des années 30, une enfance dans la montagne est fort lointaine de celles plus contemporaines que l’on peut imaginer. Pas de télévision pour se divertir par exemple, pas de magasins. A vrai dire, il n’y a même pas de lampadaires pour éclairer la mystérieuse forêt qui les entoure. Kazuo n’a pas le temps de s’embêter, car son père (instituteur) lui raconte chaque soir des histoires inspirées des légendes locales. Ces récits sont aussi effrayants que fascinants, son père lui parle de la femme-serpent et d’autres contes du Japon ou du monde en général (dont ceux des frères Grimm). De quoi stimuler son imagination. A l’époque, le marché du manga n’est pas aussi développé qu’aujourd’hui, il va sans dire. La fibre artistique de Kazuo laisse son grand-père supposer qu’il pourra être rakugoka. Vers ses 8 ans, la famille déménage en ville (à Gojō) et les illustrations de Kazuo lui permettent de se faire des amis. Le dessin est au centre de sa vie, comme une certitude.
Son épiphanie (car il en faut une dans tout bon storytelling, n’est-ce pas) arrive à ses 10–11 ans. Pendant un festival d’été, il tombe sur un stand de vente d’occasion, et, sur la paillasse à terre, trône Shin Takarajima (La Nouvelle Île au trésor) d’Osamu Tezuka. Sa lecture est une révélation pour le gentil garçon (jamais grondé une seule fois par ses parents selon ses dires) : il va devenir mangaka, sans l’ombre d’un doute. Il est si captivé par l’œuvre, qu’il en repique le motif rayé des corsaires. Il choisit de le voir rouge et blanc et dès que l’occasion le permettra, il ne portera plus que ces rayures, tel un uniforme décalé (ou, si l’on pousse un peu loin, peut-être un moyen inconscient d’exprimer sa dualité, allégorie de l’enfant et l’adulte en lui).
L’évidence d’une carrière dans le manga est si forte qu’il parvient à être publié dès ses 19 ans avec une adaptation d’Hansel et Gretel (Mori no kyōdai, 1955). Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, il ne se jette pas dans le manga d’horreur immédiatement. Il multiplie les publications, notamment dans le Shōjo Friend avec des histoires de romance avant de glisser naturellement vers ses amours d’enfance. Comme il n’aime pas du tout faire comme tout le monde et qu’il a confiance (ou conscience) que les histoires d’horreur ont un fort potentiel commercial sur le jeune public, il se lance avec Nekome No Shōjo (1965). De manière logique, il en vient à la conclusion que pour écrire une histoire qui fait peur, elle doit d’abord l’effrayer lui. Par conséquent, il puise dans ses terreurs du passé et s’inspire des légendes que son père lui racontait avec La Femme-Serpent (1965–66).
Le succès est au rendez-vous et ce qui était auparavant un simple élément narratif devient un genre en soi. Le kowai manga (manga d’horreur) gratte et creuse sa place de ses longs ongles. Toujours dans une approche originale et réfléchie, Umezu explore notamment l’horreur psychologique, au sein de la famille ou dans le rapport mère-fille. En rupture avec les tendances shōjo de l’époque, il ose faire de la mère une figure dangereuse et sombre. Il ponctue également parfois ses récits de twists qui retournent le cerveau des lecteurs. Jusqu’à Neko-me kozō (Cat-Eyed Boy, dès 1967) et Orochi (1969–70), pour lesquels il passe aux magazines shōnen, il travaille seul, cumulant publications hebdomadaires et mensuelles. Il travaille si dur, qu’il vit au jour le jour en se demandant s’il ne sera pas mort de fatigue le lendemain. Heureusement, il embauche ensuite des assistants, ce qui -pour lui- confirme son statut de professionnel.
Avant d’aller plus loin et de passer à L’école emportée, je vous propose de passer en revue quelques artistes qu’Umezu cite dans ses influences.
Outre Osamu Tezuka (l’évidence). il s’y trouve deux célèbres illustrateurs japonais de livres pour enfants (entre autres activités) : Hatsuyama Shigeru et Takei Takeo.
Ce n’est pas étonnant, car Kazuo Umezu est un éternel enfant, un doux excentrique, impossible de le nier quand on l’observe tout au long de sa vie jusqu’à ses 85 ans. Célibataire (officiellement du moins), toujours d’une discrétion totale quant à sa vie privée, il est en outre célèbre au Japon pour son manga-personnage Makoto-chan. Les aventures facétieuses d’un petit garçon, très orientées pipi-caca-zizi. Une image qui tranche avec la facette horrifique de ses travaux, plus connue en Occident. Umezu ne s’est jamais mis de barrière et a toujours refusé de se limiter à un genre précis ou à un lectorat défini.
Ces deux illustrateurs lui permettent de s’éloigner du style de Tezuka, qu’il essaye d’imiter à ses débuts, pas tant par envie, plutôt car c’était alors ce qu’exigeaient les éditeurs.
Toujours d’un point de vue esthétique, ses premiers pas dans le shōjo se font aussi sous l’influence de Macoto Takahashi, père des grands yeux remplis d’étoiles (il est à noter que Takahashi et Umezu participent au mouvement gekiga dans les années 60, promouvant une approche sérieuse (“dramatique”) du manga).
Du point de vue des histoires, c’est l’indispensable Lafcadio Hearn qui lui sert d’exemple, auteur d’études japonaises à qui l’on doit notamment le grand classique Kwaidan ou Histoires et études de choses étranges.
Plus insolite, Umezu met en avant l’influence de Salvador Dali, dont il admire (et reprend à sa manière) la dissonance entre l’aspect crédible via le soin du détail et les sujets fantasmagoriques de ses peintures. Il lui rend hommage dans Dali no otoko en 1969.
Mais ses deux principaux parents artistiques ne sont autre que ses parents biologiques. Selon Umezu, sa plus importante professeure de dessin fut sa mère, alors que son meilleur professeur d’histoires à raconter fut son père. Un duo irremplaçable à qui il doit tout. L’éternel fils de ses parents.
C’est donc en 1972, à l‘âge de 36 ans, qu’il démarre L’école emportée, pour lequel il crée presque 2000 planches jusqu’en 1974. Nous y suivons Sho, un jeune garçon, qui se rend comme tous les jours à l’école. Cette matin-ci, il quitte sa mère sur une dispute, sans se douter de ce qui l’attend. Une fois en classe, un tremblement de terre se fait sentir. Les élèves et les professeurs vont découvrir que leur école a été transportée quelque part, au milieu d’un désert inquiétant au ciel constamment nuageux et plombé. Dès lors, ils vont tous devoir s’organiser et tenter de s’unir pour survivre.
/!\ Sans raconter tous les détails de l’histoire, je vais en spoiler quelques éléments, soyez prévenus. /!\
Survivre, tel est le mot d’ordre effectivement. L’on pourrait sans problème qualifier L’école emportée de survival avant l’heure. Les 862 membres scolaires (plus un invité surprise) vont rapidement se rendre compte que leurs jours sont comptés face à la pénurie de nourriture (il n’y a rien de comestible alentours) ou simplement d’eau potable. Les adultes vont quasiment tous disparaître dès les premiers chapitres, afin de laisser la place aux enfants. Difficile de ne pas penser aux classiques Sa Majesté des Mouches (les enfants, confrontés à eux-mêmes, vont s’affronter) et au Joueur de flûte de Hamelin (les enfants ont disparu du monde de leurs parents, sur lequel l’on revient ponctuellement), pourtant L’école emportée se démarque sans difficulté et obtient son identité propre instantanément.
C’est tout d’abord par le trait d’Umezu et son découpage effréné que le lecteur est plongé dans l’histoire. De son enfance dans la sombre et dense forêt de sa campagne, sans éclairages artificiels, Umezu a gardé un amour pour le noir, synonyme pour lui d’abondance. Le noir est plein, quand le blanc lui évoque le vide, le manque de matière. Ses planches sont par conséquent charbonnées et souvent couvertes d’aplats noirs impénétrables, aussi profonds que les ténèbres. Il a également retenu la leçon de son père, lui ayant expliqué qu’il ne fallait pas craindre les animaux sauvages, mais plutôt les tréfonds de l’âme humaine. C’est du reste pour cela qu’il explore le registre horrifique. Il lui donne l’occasion de sonder ce qui se cache au fond de chaque être humain, face au pire. L’approche n’est néanmoins pas du tout introspective, au contraire Umezu utilise un pragmatisme féroce et efficace et une action non-stop suffocante.
La prise de conscience face à une situation inexplicable et incontrôlable est fatale aux adultes, incapables de s’adapter à ce cauchemardesque environnement sans devenir fous. Les enfants jouent le premier rôle, une habitude chez Umezu qui les privilégient régulièrement. Plus souples, moins formatés, encore libres d’esprit, Sho, ses amis et ses ennemis, vont trouver le courage de ne pas céder à la détresse et tenter de survivre à cette apocalypse surprise. Umezu explique, de manière plus empirique, que les enfants s’avèrent être un moteur narratif parfait, grâce à leur curiosité insatiable.
Si pour Umezu, des dessins effrayants servent au genre de l’horreur, il ne valent rien si ce que l’on raconte n’est pas encore plus horrible. L’école emportée n’épargne ni ses personnages, ni le lecteur. Tout au long de l’histoire, il n’y a jamais de repos, comme une fuite en avant, et derrière ce que l’on pensait être le pire, se cache pire encore. Les jeunes héros vont non seulement être mis face à un panorama exhaustif de toutes les peurs enfantines imaginables (peur de noir, des autres, disparition des parents, monstres, maladies, catastrophes naturelles, guerres, etc.), ils vont également assister à la mort d’un bon nombre d’entre eux. Des élèves de maternelle qui se jettent dans le vide pensant rejoindre Papa et Maman en volant aux plus âgés qui finissent par s’entre-tuer, il n’y a qu’un pas, plus qu’allègrement franchi. Dans L’école emportée, il n’y a ni répit (l’action ne s’arrête jamais), ni gags pour détendre l’atmosphère. Le lecteur est happé dès la disparition de l’école, comme aspiré dans un long tourbillon sans fin.
Le choix de placer l’action dans une école est évident vu qu’il met en scène des enfants (et vice-versa), tout en étant extrêmement malin. Après la famille, Umezu rend visite à un autre cadre universel par lequel tout le monde est passé. L’école est à la fois un lieu clos (par son enceinte) et grande en surface (permettant de varier les plaisirs et d’offrir de nombreuses possibilités). Elle s’oppose au désert perpétuel qui s’étend tout autour. Il aurait été possible de conserver un mystère concernant “l’identité” de ce désert, cependant Umezu n’en fait rien et en dévoile la réelle essence assez rapidement. Si l’incertain, l’invisible, peut parfois s’avérer bien plus terrifiant, dans notre cas, savoir la vérité est le pire des verdicts.
C’est en découvrant la plaque de l’école rouillée et un mémorial garni de tous leurs noms que les élèves comprennent qu’ils n’ont pas été envoyés dans un désert de leur temps. Ils ont voyagé dans le futur, un futur proche ou non, dans lequel tous a disparu, sauf eux. La mise en scène de cette macabre révélation est un bijou d’angoisse. Car, sans que cela soit ouvertement dit, la fatalité s’abat sur toute l’école. S’ils sont dans le futur, que leur absence a été reconnue et signalée dans le passé (via la plaque commémorative), cela ne signifie qu’une chose : personne n’a réussi à les sauver et à les faire revenir depuis. Le passé est terminé et il n’est plus question d’entrevoir le moindre espoir de retourner chez eux. Une pensée des plus angoissantes, que l’on pourrait sans doute démonter en faisant appel à un paradoxe temporel quelconque, mais ne rentrons pas dans ce genre de débat, la question n’est pas là.
Comment le monde en est-il arrivé là et pourquoi ? Les enfants n’ont pas vraiment le temps de se poser tant de questions, car ils sont attaqués de toute part. Dans un premier temps, le récit reste plausible (hormis le fait qu’une école se soit envolée dans le futur, bien entendu). Il fait ensuite appel plusieurs fois à un Deus Ex Machina récurrent (la mère de Sho parvient à les aider en agissant depuis le passé) et à quelques détours fantastiques (les craintes se matérialisent comme par magie, par exemple avec la fourmi géante). Ceci pourra interloquer, voire peut-être déranger le lecteur moderne. Pour la défense de Kazuo Umezu, il est le premier à reconnaître qu’il faut faire preuve d’une certaine suspension d’incrédulité afin d’apprécier au mieux son œuvre. Il s’agit simplement de se projeter au niveau du narrateur, au niveau d’une histoire vécue et racontée par des enfants. L’école emportée oscille dès lors entre le cauchemar éveillé et l’apocalypse consommée.
Dans un élan de cruauté, Umezu utilise à répétition un mécanisme d’aller-retour entre l’espoir et le désespoir. La moindre verdure découverte par les enfants cache des monstres invincibles, la pluie tant attendue provoque tsunami et sables mouvants, ces affreux champignons qui pourraient les rassasier sont maudits, cette flaque d’eau salvatrice annonce une éruption volcanique. Rien ne leur est épargné, même pas la peste, l’opération sans anesthésie ou les étoiles de mer géantes lovecraftiennes (le point Lovecraft vient d’être atteint, pardonnez-moi).
Le pire reste toutefois à venir, avec le culte du Solocule. Afin de l’apprécier à sa juste valeur, il est nécessaire d’appuyer sur un symbolisme précédemment évoqué. La grande adaptabilité des enfants leur permet de surmonter les difficultés, ils portent en eux (et évoquent donc) l’espoir perdu par les adultes. En tentant vainement d’imiter la société telle qu’ils l’ont connue (en élisant des ministres, en essayant d’unir leurs forces), ils finissent par utiliser un buste de la mère de Sho (sculpté par lui-même en cours) en tant que relique divine. Ce souvenir de la Mère (qui fait précisément office de Dieu providentiel à plusieurs reprise dans l’histoire) leur permet d’oublier un instant que plus personne ne viendra les aider. Cet artefact est cependant subtilisé et remplacé par un objet abject et terrifiant. C’est ainsi que le lecteur entre en contact avec “le culte du Solocule” et découvre l’abomination ultime qu’est en réalité devenue l’humanité. Pire que de disparaître, cette dernière s’est transformée en créatures arachnides repoussantes, issue de la pire hallucination fiévreuse possible. Le dernier clou du désespoir s’enfonce alors que sur la page, le Solocule premier git crucifié au mur et défini en tant que martyre.
L’horreur n’est jamais meilleure que lorsqu’elle véhicule un message. En l’occurrence, l’idée prégnante dès le premier tome atteint son apothéose. Cette Terre infertile et diabolique, où ont été envoyés les enfants, n’est que le résultat des actions de leurs propres parents. “Et qu’est-ce que l’humanité au bout du compte, si ce n’est un grand récipient prêt à déborder”, se demande-t-on dans le tome 5. Alors que nos jeunes protagonistes n’ont disparu que depuis peu, le trou béant laissé derrière eux se transforme en décharge géante, sous les yeux horrifiés de la mère de Sho. L’école emportée pose une question, derrière la description de la dureté de la survie des enfants. Une question sous-jacente à toutes les atrocités qu’ils vont devoir traverser, alors que plus de la moitié tombent au combat comme les soldats sans visages d’une armée anonyme : quelle Terre allons-nous laisser aux futures générations ? Car contrairement à un rêve de môme, en vérité même la plus courageuse des mamans ne pourra les aider à travers l’espace-temps. Une question qui n’a jamais été plus d’actualité et qui à elle seule justifie la (re)lecture de ce manga. Pour une fois, Umezu n’utilise même pas de twist final renversant la situation, scellant définitivement le destin de ses jeunes personnages.
Kazuo Umezu se dédouane d’avoir souhaité émettre une déclaration politique, il fait de la fiction et quand il touche à la science-fiction, il tente simplement d’extrapoler une direction possible du futur selon les données du présent. Il constate candidement que L’école emportée est tombée “juste”. Dans le dernier tome, les enfants fuient l’école et découvrent un parc de loisirs, le Fuji Paradise. Ils y retracent ensemble l’évolution de la vie, des dinosaures aux hommes préhistorique, du Moyen Age aux rues de Ginza, dans le présent d’alors. Ils aperçoivent une porte menant vers le futur imaginé par leurs parents et s’y engouffrent pour découvrir que le désert a déjà tout emporté. “Je veux savoir à quoi ressemblait notre futur” s’écrie Sakiko, la meilleure amie de Sho. Plus violente que les batailles, que les fourmis géantes, que les champignons mutants, cette phrase a tout d’une sentence. Celle d’enfants dont le futur a été volé, bien avant que leur école soit emportée, dès leur naissance, dans un monde pollué et déjà condamné. Pas étonnant que s’en suive une régression extrême, brisant le dernier des tabous, lorsque certains gamins redevenus sauvages commencent à manger leurs semblables.
Malgré toute cette fatalité, le manga réussit à se conclure sur une fin douce-amère, suffisamment libre d’interprétation pour que chacun-e puisse choisir entre l’espoir et le désespoir. Cette part d’enfant qui a existé en nous, à un moment ou à un autre, vouée à disparaître inéluctablement, peut-être est-il encore possible de l’entendre et de l’écouter ? Umezu, l’éternel gamin dans sa maison rayée de rouge et de blanc, vous pose la question depuis le passé, un passé d’il y a 50 longues années.
Avant d’en terminer, je ne peux pas passer sous silence quelques soucis inhérents à l’âge du manga. Pour ceux que n’ont jamais lu d’Umezu, forcément, le dessin pourra paraître désuet (ainsi que certaines mécaniques narratives), bien qu’il me soit d’avis que l’action est si frénétique que cela ne pose pas de problème sur le long terme. L’école emportée est un véritable page-turner, dont on avale certains chapitres en une seule bouchée. Il est totalement accessible et facile à suivre. Le principal reproche, outre les châtiments corporels des professeurs d’un autre âge, sera le traitement de la place de la femme, fort éloigné de nos avancées dans le domaine. Je pense principalement à une page vers la fin du tome 2, où les femmes sont d’office exclues des postes de ministre car trop émotives et pas assez capables. Cela pourrait passer avec un peu d’indulgence si ce n’était pas l’enfant considéré comme le petit génie de l’école qui assénait cette “vérité”, automatiquement acceptée car sortant de sa bouche. Heureusement, le rôle de Sakiko, dite Sasa et héroïne au côté de Sho, compense grâce à son courage et sa mise en avant. Ces deux faits d’armes (la protection de l’école contre le tsunami et surtout l’incroyable raid sur le muguet) sont parmi les plus poignants de l’histoire. En dehors de cela, je vous encourage vivement à découvrir L’école emportée si cela n’est pas déjà fait, en tant que manga-patrimoine ou simplement en tant qu’œuvre tout court.
Pour aller plus loin, quelques sources et réflexions diverses :
- Je ne peux que vous conseiller cet excellent entretien “réalisé par Xavier Guilbert et Stéphane Beaujean [et] diffusé pour la première fois à Angoulême le 27 janvier 2018”
- Une visite en vidéo de la fameuse maison
- L’école emportée a été adapté plusieurs fois, notamment en film en 1987 par Nobuhiko Obayashi (le réalisateur du culte Hausu), mais aussi en drama en 2002 sous le nom The Long Love Letter. Il y a aussi un film de 1995 qui s’appelle Drifting School, que je n’ai pas vu et qui a l’air tout nul, je ne sais pas s’il est réellement inspiré du manga, bien que les synopsis aient l’air semblables
- Si vous avez pensé à Junji Ito en lisant ce thread ou du Umezz, c’est normal, il est son maître à penser. On remarque d’ailleurs de nombreuses similitudes avec Spirale (et d’autres de ses œuvres), comme l’inéluctabilité générale, la transformation en solocule (qui démarre par le dos comme les hommes-escargots), la menace cosmique / de la mer, le cannibalisme, les champignons dégoutants / les placentas, etc. Ito a également repris le principe de dissonance entre la beauté des dessins et l’horreur illustrée.
- Je suis Shingo met également en scène des enfants et ses premières pages de chapitres font écho au monde dévasté dont parle L’école emportée, voici quelques exemples pour le plaisir :
- Comme dit dans le thread, L’école emportée va ressortir chez Glénat dès le 7 juillet dans un plus grand format que le bunko
Si vous souhaitez lire d’autres Umezz en français, il faut se tourner vers l’éditeur Lézard Noir qui nous gratifie d’éditions grand format de nombreuses de ses œuvres - En 2014, donc à l’âge respectable de 78 ans, Kazuo Umezu a réalisé un film nommé Mother, qui parle de sa mère. On y retrouve un acteur jouant son rôle mais aussi sa maison rouge, verte et blanche. Il y explique notamment la signification de ses deux assiettes (une rouge et une verte), petit autel décalé rendant hommage à ses parents. Le film, qui se présente comme autobiographique, bascule très rapidement dans le pur fantastique en réinterprétant les histoires de folk-horror d’Umezu. Une curiosité digne de ce petit coquin de Kazuo.
- J’ai beaucoup aimé les critiques suivantes sur Umezu : L’Ecole Emportée : l’horreur contestataire, les chroniques sur le site Du9, ainsi que l’entretien du 2ème numéro du magazine Atom (qui annonce un nouvel interview avec le maître dans son numéro 17)
- Umezu remporte en 1975 le prix Shōgakukanpour L’école emportée, et sinon il aime bien faire de la musique et chanter comme on peut le voir ici :
- En 1966–67, Umezu a adapté Ultraman en manga et c’est suffisamment cool pour être signaler en conclusion :
Merci pour votre lecture et à bientôt :).