Shin Megami Tensei 3 Nocturne HD Remaster

Morolian
19 min readSep 23, 2021

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Aujourd’hui, je vous parle de Shin Megami Tensei 3 Nocturne HD Remaster et je vous explique pourquoi ce jeu qui a déjà plus de 15 ans est toujours aussi incroyable et unique en 2021.

Les deux vidéos d’introduction du jeu

Raconter tout l’historique de la saga Shin Megami Tensei serait fastidieux et très long, c’est pourquoi je vais me contenter des grandes lignes, afin de poser un minimum de contexte pour les gens qui se sentent perdus à l’évocation de cette série de RPG. Le principal à savoir est que son origine remonte à la fin des années 80, avec l’adaptation d’un roman d’Aya Nishitani (Digital Devil Story: Megami Tensei, 1986). Sous un nom identique, la version Famicom (1987) va donner naissance à une myriade de titres, progressivement déclinés en de nombreux spin-offs (Persona en est le plus connu). En novembre 2021, les fans et les curieux attendent d’ailleurs Shin Megami Tensei V, qui malgré son numéro n’est pas “vraiment” le 5ème opus, comme nous allons rapidement le voir.

Digital Devil Story: Megami Tensei le premier roman et le jeu Famicom

De l’extérieur, la saga semble tentaculaire et compliquée à appréhender. Rassurez-vous, cela est bien plus simple qu’il n’y paraît. Pour vous aider, j’aime bien utiliser cette image que je trouve plutôt parlante. Imaginez un arbre :

  • Les racines sont les deux Digital Devil Story: Megami Tensei sortis sur Famicom
  • Qui ont donné naissance au tronc : les jeux principaux nommés Shin Megami Tensei (respectivement : 1, 2, if, Nine, 3 Nocturne, Strange Journey, 4, 4 Apocalypse et 5)
  • De ce tronc s’étendent des branches qui correspondent aux spin-offs (Persona, Devil Summoner, Digital Devil Saga, Devil Survivor, etc.)
  • Chaque branche peut elle-même se diviser pour ce que l’on va appeler des “sous spin-offs” comme les Persona Dancing par exemple
Shin Megami Tensei 1, 2 et if… (version Playstation)

Dès le berceau, les Megaten ont été imaginés en opposition aux habituels univers d’heroic fantasy ou de science-fiction classique. A l’instar du roman de Nishitani (premier volume d’une trilogie), ils mélangent la technologie moderne, les ordinateurs, l’eschatologie, les religions et la démonologie. Pour résumer, les Megaten sont des jeux cyber-ésotériques. La meilleure illustration en est sans doute le Devil Summoning Program : un programme informatique récurrent permettant d’invoquer des démons et que l’on reçoit en général par e-mail lorsque l’apocalypse guette. Les jeux partagent de même un bestiaire commun composé de figures religieuses et mythologiques du monde entier et conçu par l’inimitable Kazuma Kaneko (dont je vais reparler plus bas). Dans les Shin Megami Tensei, le joueur doit composer son équipe en recrutant parmi ses ennemis et est régulièrement appelé à ensuite les fusionner afin d’obtenir de nouveaux partenaires plus puissants. Bien que chaque spin-off se concentre sur une particularité qui le différencie des autres, on retrouve constamment quelques points communs qui les relient à la série-mère, le tout dans un cadre contemporain ou post-apocalyptique.

Shin Megami Tensei 3 Nocturne

Shin Megami Tensei 3 -l’objet de nos désirs- est précédé de 3 jeux sortis sur Super Famicom (Shin Megami Tensei 1, 2 et if…) et de Shin Megami Tensei Nine sur Xbox. Chaque opus peut se faire indépendamment dès autres, bien que SMT2 se base sur une des fins de SMT1 et que SMT Nine réutilise également une bribe de l’univers de SMT1. Pour brouiller encore davantage les pistes, SMT3 Nocturne est d’abord sorti en 2003 sur Playstation 2 au Japon, puis est revenu en 2004 (toujours sur PS2) sous le nom de SMT3 Nocturne Maniax, avec une nouvelle fin et un long donjon inédit. En Europe, c’est cette version qui débarque en 2005 en étant rebaptisée Shin Megami Tensei: Lucifer’s Call. C’est également Maniax qui est utilisé pour le Remaster HD de 2021.

Derrière tout cela, il y a bien évidemment un studio : Atlus, à présent bien installé et connu à l’international. Les deux noms principaux que l’on associe à ces SMT “old-school” sont ceux de Cozy Okada (présent dès le Digital Devil Story 1 ; réalisateur et producteur) et Kazuma Kaneko (qui intègre l’équipe sur Digital Devil Story 2 ; directeur artistique et chara-designer). En promotion, ils se présentent de manière aussi “dark” que leurs productions : lunettes noires, blouson de cuir ou costume sombre de bad boy chic. Kazuma Kaneko n’a d’ailleurs jamais caché son attrait pour l’occulte, la spiritualité et l’univers des yakuzas. Ses dessins et lui-même sont si charismatiques que l’on a tendance à lui attribuer toute la personnalité de la saga (bien que Katsura Hashino et Kazuyuki Yamai se succèdent au poste de réalisateur sur SMT3).

Atlus jadis

Dans tous les cas, en voyant ces deux compères déambuler dans Tokyo la cigarette à la main, ce n’est pas une surprise si les Shin Megami Tensei s’imaginent et se revendiquent dès le départ comme différent des autres. Ce sont des jeux volontairement difficiles et exigeants, qui nous plongent dans des labyrinthes tortueux et où le rythme des combats devient rapidement infernal. Les thématiques se veulent profondes et iconoclastes : il s’agit de choisir son camp entre les courants de la Loi (la rigueur du paradis) et du Chaos (la liberté de l’enfer), le tout dans le but d’aller battre Lucifer ou YHVH en boss finaux. Comme le principe de la série veut que l’on recrute parmi ses opposants, il s’agit dès lors de remplir ses rangs avec des créatures divines, tels Odin, Shiva, Amaterasu, Kali, Pazuzu, Satan, voire même parfois Cthulhu !

Shin Megami Tensei 3 Nocturne

Les sorties des Megami Tensei sont dans un premier temps plutôt régulières, la preuve : Megami Tensei 1 en 1987, puis le 2 en 1990, suivi de Shin Megami Tensei en 1992, SMT2 et SMT if… en 1994. Ensuite, les membres de l’équipe décident de se changer les idées et de se concentrer sur des concepts alternatifs de sorte à varier les plaisirs. Ils conçoivent les premiers Devil Summoner (1995) et Persona (1996, fils spirituel de SMT if…). L’appel d’un SMT3 tourne évidemment d’ores et déjà en tâche de fond. A quelques années d’une nouvelle décennie, Okada et Kaneko se questionnent sur la fin de ce siècle et sur l’état actuel de l’humanité. Si les SMT se revendiquent en tant que jeux libres (le joueur peut ouvertement choisir sa voie), SMT2 lorgnait dans son histoire vers le courant de la Loi, avec sa revisite de l’Ancien Testament. Ainsi, dans l’optique de se renouveler, le courant Chaos s’impose naturellement en tant que futur noyau de SMT3. Un noyau planté et laissé momentanément de côté, fertilisé par l’approche de l’an 2000, les prophéties du fin du monde et la lente décadence de l’humain, broyé implacablement par une société et une ville qui ne cessent de grandir.

Shin Megami Tensei 3 Nocturne

Il faut donc attendre quelques années pour qu’Atlus se mette à expérimenter des modèles 3D en accord avec les progrès technologiques du moment et en vue de sortir des titres sur Playstation 2. Un Cerberus (protecteur fétiche de la série et ce dès le premier roman) s’exhibe d’abord, fier de ses polygones. Penser un univers 3D implique de réfléchir à la manière dont les personnages s’y déplacent et comment ils y interagissent. Okada et Kaneko sont dans tous les cas toujours d’accord : la thématique de SMT3 sera définitivement le chaos, aussi bien son énergie (comme celle de Shibuya qu’Okada apprécie) que les “oeufs de chaos”, issus du mal-être humain et qui perturbent l’harmonie de la planète selon Kaneko.

En réaction à l’escalade du “toujours plus” ambiant, ils décident d’opter pour une approche contraire consistant à ne garder que l’essentiel. Il faut simplifier, sans pour autant appauvrir. Leur but est de créer un jeu sombre et profond, aussi fascinant et éprouvant qu’un voyage en enfer. Se débarrasser du surplus va leur permettre d’accoucher d’un joyau noir qui ne se cache sous aucun artifice. De plus, ils souhaitent repartir à zéro par rapport aux précédents SMT et ne pas s’alourdir du fardeau que peut constituer la création d’une suite directe. Pour Kaneko, recentrer l’univers du jeu sur le Tokyo contemporain (comme à la source de la série et dont SMT2 s’éloignait) s’avère primordial. C’est pourquoi SMT3 hérite d’un sous-titre (Nocturne, pour marquer son indépendance) et abandonne certains aspects qui semblaient pourtant jusque là constitutifs des SMT. Adieu la vue à la première personne, celle à la troisième permet d’admirer le protagoniste et d’éviter tout souci de motion sickness. Adieu aussi les équipements : notre héros mi-homme mi-démon n’en a plus besoin. Kaneko s’occupe de son apparence avant tout le reste. Il le recouvre de tatouages shamaniques, pour compenser l’absence de Devil Summoning Program, laissé lui aussi de côté. L’utilisation du cel shading est intelligemment choisie, car ce procédé permet de restituer au mieux le style si caractéristique de Kaneko. En outre, il s’avère dans l’exacte lignée des envies de l’équipe : proposer un rendu graphique différent des normes, aussi épuré que mémorable et stylisé.

Shin Megami Tensei 3 Nocturne

SMT3 peut en outre s’aider de l’expérience acquise grâce aux modèles 3D déjà conçus pour SMT Nine. Pensé comme un futur RPG en ligne, le développement de ce dernier ne se passe pas comme prévu et le jeu se voit amputé de sa partie online. Autrement plus radical, SMT3 s’éloigne de tous les poncifs et obligations du genre et s’oriente vers une proposition inédite aussi bien pour les RPG japonais en général que pour les Shin Megami Tensei eux-mêmes.

L’histoire débute cependant de manière assez classique pour un Megaten : après une découverte succincte de la ville de Tokyo, le joueur assiste à la fin du monde (oui, carrément), à laquelle heureusement il survit. Il est toutefois désormais mi-homme mi-démon et doit trouver le moyen de s’en sortir dans ce nouvel univers qui l’accueille, le monde du Vortex. Dans le Vortex, Tokyo (ou ce qu’il en reste) s’est enroulée sur elle-même et est devenue sphérique. Les humains ont disparu et la ville n’est plus que chaos. Il n’en reste que quelques quartiers pris d’assaut par des démons divers et variés, au milieu des plaines désertiques. En son centre, un certain Kagutsuchi brille et attend la fin du jeu, pour que l’on vienne lui partager notre idée de l’avenir. Car c’est bien de cela qu’il s’agit : la fin du monde s’appelle en réalité la Conception et le Vortex n’est qu’une phase transitoire avant la renaissance à venir. Il va nous falloir partir à la rencontre des rares rescapés, et décider avec lequel d’entre eux nous allons nous allier pour reformer le monde. Comme d’habitude, ce choix est totalement libre (ainsi que celui de ne pas choisir !) et nous dirige vers l’une des six fins disponibles.

Shin Megami Tensei 3 Nocturne

A sa sortie en Occident en 2004–05, tout dans SMT3 paraissait nouveau et original car les opus précédents, inédits chez nous, n’avaient été parcourus que par une poignée d’initiés. Mélanger ainsi la formule RPG à la japonaise avec de l’horreur, des religions, des questions existentielles, de la cruauté et de l’humour, il y avait de quoi tomber immédiatement amoureux-se. Ce dont on ne se doutait pas forcément, c’est que SMT3 réservait aussi des surprises aux fans japonais de la saga.

Dans l’introduction du jeu, on peut lire le texte suivant, issu des “Écritures de Miroku”.

Cette source, qui fait référence à la réelle Prophétie de Matreiya (Miroku en japonais), ancre immédiatement le récit du jeu dans un écrin cabalistique. Elle met le joueur devant le fait accompli qu’il existe un texte, quelque part, qui connaît déjà le fin mot de l’histoire. Car, après tout, “… C’était écrit”. Les habitués des SMT savent déjà qu’ils vont incarner un héros messianique, annonciateur et décideur d’un nouveau monde, et cette divination de Miroku le confirme. Sauf qu’il est plus tard dévoilé que ces Écritures de Miroku étaient cachées dans les bibliothèques secrètes du Culte de Gaïa. Ce Culte, présent dans les jeux précédents, est associé au courant Chaos. Avant que la Conception ne débute, le joueur ne peut se rendre au parc Yoyogi car des meurtres y ont eu lieu. Ils ne sont en vérité que l’ultime coup d’éclat entre Gaïa et les représentants de la Loi. On ne verra jamais leurs visages, car ils font partie du passé. Le seul survivant de Gaïa est le manipulateur Hikawa, un des personnages les plus fascinants du jeu, prêt à sacrifier l’humanité toute entière pour la faire renaître selon sa vision du “bonheur”. Quoi qu’il en soit, les représentants des deux voies principales des SMT précédents (Loi et Chaos donc) sont tout bonnement anéantis en même temps que le reste, lors de la création du Vortex, alors que le jeu vient à peine de démarrer. Atlus voulait faire table rase, il ne l’a pas fait à moitié ! La traditionnelle héroïne, accompagnant le héros au gré des scénarios et héritière de Yumiko du roman originel, vole également en éclat et n’intégrera jamais notre équipe.

Dès lors, aussi bien les initiés que les néophytes ne savent pas à quoi s’attendre concernant les voies qui vont lui être offertes par le jeu. Celles-ci s’y nomment des Raisons et nécessitent deux éléments pour exister : un humain pour les inventer et une quantité conséquente de Magatsuhi afin d’invoquer le dieu qui va les représenter. Le Magatsuhi constitue le nerf de la guerre dans SMT3, une énergie rouge que tous les démons convoitent et sans laquelle ils sont voués à disparaître. Comme le jeu nous l’explique, le Magatsuhi “provient des émotions telles que la souffrance, l’anxiété, la tristesse”. En mourant, l’humanité a relâché un flot de Magatsuhi que les possesseurs d’une Raison vont tenter de s’accaparer pour imposer leur point de vue.

Le Magatsuhi qui hante tout le monde du Vortex

Le terme Magatsuhi n’est pas une invention du jeu, il s’inspire du concept de la destruction, du désastre. Le Magatsuhi no Kami est le dieu shinto de la destruction, qui peut remplir notre cœur de chaos. En opposition, le Naobi no Kami est le dieu de la reconstruction. Ainsi va le cycle de la vie et du monde : tout n’est que fin et recommencement, qu’équilibre entre le positif et le négatif. Dans SMT3, le Magatsuhi, énergie du chaos (la thématique centrale), coule dans le Labyrinthe d’Amala, est concentré dans le Mécanisme du Cauchemar ou violemment aspiré de notre ami Isamu par le puissant Thor. Tout le monde est à sa recherche et le joueur en perçoit l’incommensurable importance assez tôt, lors de l’affrontement fatal qui oppose les Mantra et les Nihilo, factions de Gozu-Tennoh et Hikawa. Du chaos, la vie naît et se dissout.

Shin Megami Tensei 3 Nocturne

Cette réflexion sur le chaos s’inscrit également parfaitement dans le syncrétisme habituel de la série. Il devient logique dans le Vortex de croiser toutes ces entités divines et mythologiques. De même, il apparaît normal dans ce contexte de transition entre la mort et la naissance d’un monde de s’interroger sur sa “conception” de soi et son rapport aux autres et à l’univers, comme les SMT aiment tant à le faire. Les démons nous posent des questions existentielles à chaque occasion. Les créateurs se permettent de surcroît quelques inquiétantes considérations : l’idée d’une déesse irréelle née des prières des sorcières persécutées, l’éventualité de pouvoir briser le temps ou encore l’exploitation des Mannequins, êtres issus de l’argile, torturés à maintes reprises, qui rêvent de s’affranchir de leur destinée. Bien que désormais en 3D, le jeu réutilise par moment la scénographie minimale induite par les limitations techniques de la SNES. Les personnages s’adressent à nous par notre prénom (rentré au début de la partie) en nous regardant droit dans les yeux, comme s’ils nous parlaient depuis l’autre côté de l’écran.

Si SMT3 a si bien vieilli, ce n’est pas que pour son fond indémodable, mais surtout grâce à la cohérence entre sa forme et ce qu’il raconte. Tout d’abord, il faut parler de ce qui est sans doute la plus grande qualité du jeu : sa direction artistique sans faille. Kazuma Kaneko n’a jamais été aussi efficace aux fourneaux et il est difficile de lui adresser un quelconque reproche de ce côté-là. Peut-être que les nouveaux venus pourront être déstabilisés par la carte du monde, mais il s’agit de la modernisation logique d’une tradition dans les SMT. Le joueur, représenté par un simple cône surplombé d’une boule s’y déplace comme dans un diorama. Une fois la surprise passée, on s’y habitue très vite.

Mais c’est surtout dans la multitude de démons, aux designs si étranges et magnétiques, que SMT3 brille. Ainsi que dans son architecture démesurée, dans ces donjons au sein desquels l’on se sent minuscules et perdus face à des boss de plus en plus gigantesques. Des angles tranchés du QG des Mantra aux rondeurs troublantes de l’Assemblée des Nihilo, puis aux dédales des Kalpas, aux incroyables couloirs trompeurs du Parlement et aux escaliers démoniaques de l’Obélisque, les environnements de SMT3 nous hypnotisent par leurs singularités. Il faut s’armer de patience pour découvrir les tréfonds d’Amala ou les hauteurs indicibles de la Tour de Kagutsuchi. De prime abord austère, SMT3 est en réalité l’un des jeux les plus purs jamais créés. Chaque scène, chaque dialogue y est ramené à son essence, loin des habitudes bavardes de ses confrères.

Quelques images de donjons

Le vide de ses décors (conséquence des limites de l’époque) ne fait qu’accentuer notre solitude. Car nous sommes bien seul contre tous et ça, Atlus n’oublie pas constamment de nous le rappeler. La réputation de SMT3 le précède : il est difficile. Il n’est pas seulement question de combats compliqués, problème d’autant plus facile à résoudre dans un RPG qui nous permet de gagner de l’expérience et d’augmenter nos statistiques. Atlus est, comme à son habitude, bien plus cruel que cela. SMT3 est un marathon : les combats sont nombreux, très nombreux. Ils peuvent avoir lieu aussi bien dans les donjons que dans les villes (symbole d’aires de repos habituellement). Régulièrement, les PNJ nous parlent mal, se moquent de nous, voire nous attaquent ! On ouvre des coffres vides avant de recevoir un sort qui peut nous tuer instantanément. Il n’est pas question de demander à nos compagnons de nous ressusciter : notre mort équivaut sans délai au fatidique game over. Comme expliqué plus haut, c’est à nous et uniquement à nous de constituer notre équipe en convaincant nos opposants de rejoindre notre camp, une pression supplémentaire.

Shin Megami Tensei 3 Nocturne

A cela, s’ajoute le sentiment d’être perdu, de ne pas savoir où aller ensuite. En vérité, SMT3 suit le canevas classique des RPG (la boucle donjon, boss, avancée scénaristique et nouveau but) et il suffit d’être attentif aux dialogues pour retenir des indices. Mais déjà à l’époque, certains n’y comprenaient rien. Alors, face aux standards actuels, c’est peut-être encore pire. Les sauvegardes sont heureusement bien plus accessibles que dans les SMT précédents (il y a même un Terminal avant chaque boss et la possibilité de sauvegarder à la volée dans le Remaster), mais il reste un stress sourd et continu qui nous poursuit : celui du choix de nos pouvoirs. Le héros, dont les statistiques sont entièrement personnalisables, ne possède que huit emplacements de skills. Il faut donc consentir à faire de nombreux sacrifices parmi la longue liste de sorts disponibles. Sachant qu’un skill effacé l’est définitivement. Une erreur dans notre cheminement peut s’avérer très handicapante sur le long terme. D’autant plus en vue du système de combat, créé pour l’occasion et devenu une marque de fabrique des Megaten depuis : le Press Turn. Le principe est limpide, à l’image du reste du jeu souhaitant se débarrasser du superflu : toucher la faiblesse d’un ennemi vous accorde un tour supplémentaire, l’attaquer sur l’une de ses forces vous en fait perdre. Ceci est valable pour votre adversaire également. La tactique consiste donc à gagner des tours tout en réduisant ceux des opposants. Je pourrais détailler davantage, notamment sur l’utilité des sorts de soutien, mais là n’est pas vraiment la question. Le principal est de souligner l’efficacité d’un système pourtant extrêmement simple. Encore une fois SMT3 jette les chichis et ne garde que l’indispensable.

Shin Megami Tensei 3 Nocturne

Comme les riffs de guitare qui rythment le thème des combats, SMT3 est un jeu agressif et cruel, qui tient sa ligne directrice jusqu’au bout. Créer un monde, ce n’est pas facile et nécessite d’abandonner le précédent. Puisant sa force dans le chaos, SMT3 est en vérité un miracle. Celui d’une apothéose, sur la pente difficile du passage de la 2D à la 3D (où tant d’autres ont échoués). Celui d’un RPG refusant les facilités et tropes de son genre (pas d’héroïsme ni de sentimentalisme, pas de pouvoir de l’amitié, n’hésitant pas à devenir effrayant). C’est son intransigeance, à tous les niveaux, couplée au travail d’Atlus et au génie de Kazuma Kaneko, qui lui ont permis de traverser le temps. Certes, tout n’a pas si bien vieilli et SMT3 est dorénavant un jeu dit old-school. Aujourd’hui, on lui reprochera des boucles de gameplay, des combats répétitifs, des énigmes d’un autre temps et -à raison- l’inutilité de ses phases de shmup dans les Kalpas, toutefois… Toutefois, quelle audace, quelle personnalité ! A l’heure où l’on reproche à tous les jeux de se ressembler, personne n’a su imiter SMT3. Même les SMT suivants n’ont pas osé recycler ses Raisons et sont revenus, humblement, à la Loi et au Chaos. Les Megaten nous parlent de réincarnations, de cycles de vie et de mort. SMT3 appartient à une époque révolue, à un ancien Atlus qui n’existe plus. C’est aussi ce qui fait sa beauté et sa force.

Shin Megami Tensei 3 Nocturne

SMT3 va même plus loin que tous ces congénères megateniens, en suggérant au joueur une solution alternative des plus destructrices. Ajout de la version Maniax, les Kalpas (donjons optionnels rappelant fortement les SMT antérieurs par leur difficulté) offrent une fin inédite, la plus dure de toutes, ainsi que des boss mémorables en la personne des Fiends. On peine vraiment à imaginer SMT3 sans eux, tant ils font partie intégrante de l’expérience globale. Les fiends, auparavant ennemis rarissimes (dans SMT 1, 2 et if…), frappent ici de toute leur force et continuent de traumatiser les plus valeureux. Il est nécessaire de s’armer de courage pour en venir à bout et espérer accéder à la requête de ce mystérieux vieil homme en fauteuil roulant, qui semble être le maître des lieux. Sans trop en dévoiler, le sous-titre Lucifer’s Call, bien que moins classieux que le simple Nocturne, n’a pas été choisi par hasard. Lucifer est l’une des figures les plus fidèles des SMT, et ce dès Digital Devil Story: Megami Tensei. Ennemi, allié, souvent déguisé et sous pseudonyme, l‘ange déchu symbolise à merveille toute l’ambiguïté des Megaten et s’amuse à revenir dans chaque épisode. Impossible de ne pas évoquer le clin d’œil : dessiner Lucifer a été le premier travail de Kaneko sur King of Kings (1988) à son embauche chez Atlus. “… C’était écrit”.

Lucifer everywhere

Comme vous l’aurez compris, avoir l’occasion de rejouer facilement à SMT3 grâce à ce remaster a ravivé en moi une passion identique au premier jour. Je l’ai même trouvé au final plus bavard que dans mes souvenirs ! Si vous souhaitez tenter l’aventure, ce remaster est considéré comme paresseux par la plupart des fans. Cela n’a absolument pas gâché mon plaisir, je n’ai pas eu de ralentissements (sur PS4) et les nouveaux doublages se sont avérés bien mieux que je ne le redoutais. Un mode facile est proposé si vous n’avez pas envie de vous prendre la tête. Pour l’avoir essayé, il est TRÈS facile (pour les connaisseurs : le Matador au premier coup avec une équipe non adaptée). Non seulement les ennemis sont plus faibles et vous octroient davantage d’expérience, mais c’est surtout la fréquence des combats qui a été très nettement revue à la baisse. L’agressivité et l’intransigeance de SMT3 font partie de son ADN, comme j’ai voulu l’exprimer à travers ce texte. Cependant, il n’y a pas de bonne manière d’y jouer, alors le mode facile est une porte d’entrée comme une autre dans cet univers. Faîtes comme bon vous semble, le principal est de s’amuser avant tout ! Le remplacement de Dante par Raidou Kuzunoha passe comme une lettre à la poste. Il apporte davantage de cohérence à l’univers, vu que Raidou provient du spin-off Devil Summoner. A défaut d’un nouveau Devil Summoner le mettant en scène, on a au moins l’avantage de rester en famille en quelque sorte.

Raidou vs Hitoshura

Shin Megami Tensei 3 HD Remaster est disponible sur Playstation 4, Nintendo Switch et Steam.

Quelques bonus :

  • Le game over inspiré de Gustave Doré :
  • Kaneko s’est inspiré des Red Hot Chili Peppers pour créer Hitoshura, le héros mi-homme mi-démon, il a également hésiter à faire jaillir des claviers de son héros en référence à Videodrome et ses mutations
  • Les menoras permettant d’accéder aux Kalpas portent le nom des Sephiroth de l’Arbre de Vie. Ce qui n’est pas sans rappeler les potentielles promesses de Shin Megami Tensei V, qui semble lui aussi faire référence à la Kabbale. De plus, le héros de SMTV s’appelle Naobino ce qui n’est pas sans évoquer l’opposition entre les kamis de Magatsuhi et Naobi. Pour finir, les décors désertiques de SMTV évoquent tout de suite ceux de SMT3 pour les fans. Reste à voir si Atlus aura décidé de lier ou pas les deux jeux.

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