Voyage esthétique avec les publications de Shinichi Koga chez Hibari Shobô dans les années 1970

On parle d’anemoia pour évoquer la nostalgie d’une époque que l’on n’a pas connue. Il y a sans doute de cela dans la fascination que provoque chez nous la vision de vieilles jaquettes de mangas d’horreur, qui marient à la fois une imagerie d’épouvante et une esthétique qui semble presque désuète aujourd’hui. C’est s’imaginer être une enfant au Japon il y a 50 ans, à déambuler dans la librairie locale, et se procurer un petit univers effrayant dans lequel plonger, un tome à emporter chez soi, charmée par un dessin en couleur plein de promesses. La machine à voyager dans le temps n’a finalement jamais été inventée. Toutefois, il nous reste la possibilité d’explorer le passé dans cet article, à l’aide de quelques images, autour desquelles il suffit d’imaginer le reste.
Si Kazuo Umezz, le maître du manga d’horreur (qui vient de nous quitter à l’heure où j’écris ces lignes, quelle triste nouvelle, qu’il repose en paix), est parvenu à arriver jusque chez nous, ce n’est pas le cas de celui qui fut un temps son “rival” : Shinichi Koga. L’on connaît ce dernier principalement grâce à Eko Eko Azarak, son manga-phare paru entre 1975 et 1979 dans le Weekly Shōnen Champion, puis en 19 volumes reliés et décliné en moult séries et films live. Et pourtant, le mangaka était alors loin d’être un débutant, cumulant déjà 17 années d’expérience derrière lui.
Je vous propose de passer en revue, pour le plaisir des yeux, les nombreuses illustrations ornant ses mangas dans deux collections de Hibari Shobô sorties principalement dans la première partie des années 1970. Cela ne sera qu’un léger aperçu de son oeuvre, mais nous permettra de vaguement imaginer la taille de l’iceberg de l’histoire du manga d’horreur, dont seule une toute petite pointe est connue.
Si vous le voulez bien, accordez-moi encore un peu de votre patience : avant de passer au plaisir visuel, un rapide détour biographique va s’avérer utile afin d’encore mieux apprécier la suite.

Qui se cache derrière ce visage, immortalisé à coup de photos argentiques reproduites dans les rabats de ses œuvres ? Shinichi Koga était, selon la légende, un monsieur réservé et qui aimait beaucoup les oiseaux. Il était surtout et avant tout amoureux du medium manga, qu’il considérait lui avoir sauvé la vie.
Shinichi Koga naît à Ômuta (préfecture de Fukuoka) le 18 août 1936. Il passe cependant une partie de sa petite enfance à Shanghai jusqu’à la fin de la guerre (bref rappel historique : la seconde guerre sino-japonaise dure de 1937 à 1945). Son père est alors mort de maladie et le jeune Shinichi Koga est rapatrié avec sa mère et ses 5 frères et sœurs au Japon. Il ne reste néanmoins pas avec eux et se retrouve confié à un oncle. Cette période n’a rien de joyeux pour l’enfant, orphelin et confronté à la pauvreté. Il se souvient de la douleur qu’il éprouvait en marchant sur des cailloux ou dans le neige, puisqu’il n’avait pas assez d’argent pour s’acheter des chaussures. Pour ce gamin de la guerre, la vie morne suit son cours et sa seule soupape, son petit plaisir, est de lire le magazine Manga Shônen.
Jusqu’au jour où, en rentrant de l’école, il croise le chemin de Lost World (Le monde perdu) d’Osamu Tezuka : c’est un bouleversement.

Shinichi Koga le relit plusieurs fois et désormais, il a non seulement un refuge mental permanent, mais également un objectif de vie. Il n’y a pas d’autres choix possibles : lui aussi va dessiner des histoires, lui aussi va devenir mangaka. Le lycée bien entamé, il décide d’écrire à Osamu Tezuka et de lui demander s’il veut bien l’accepter comme élève. La chance sourit aux audacieux, paraît-il. L’adage semble dire vrai, car quelques temps plus tard, l’adolescent reçoit une réponse du maître !
Hélas, la lettre est interceptée par son oncle, qui s’enquiert de son origine. Shinichi Koga avoue son rêve en face à face, celui de consacrer sa vie au manga. Cela n’est absolument pas au goût de son parent, pour qui les dessins ne peuvent pas servir à mettre à manger sur la table. Il détruit la lettre, dont le contenu restera à tout jamais un mystère…
Faisant preuve d’une remarquable obstination, Shinichi Koga ne se laisse pas démonter. Il quitte le foyer à 16 ans, un plan bien établi dans sa tête pour les prochaines années. Pragmatique, il a conscience de devoir s’installer à Tokyo, s’il veut avoir la moindre chance de rentrer en contact avec des professionnels du manga. C’est pourquoi il décide de consacrer les trois prochaines années à travailler dans des jobs alimentaires (notamment dans une usine de confiserie), afin d’économiser le plus d’argent possible. Son temps libre est consacré au dessin, en vue de s’améliorer en autodidacte. Il part ensuite comme prévu à la capitale, où pendant deux ans, il continue de conjuguer boulot de jour et dessin de nuit
À 21 ans, il détient ce qu’il estime être sa première histoire digne d’être proposée à un éditeur : Kage naki han’nin (Le coupable invisible), un manga de mystère et d’enquête qu’il propose spontanément à Hibari Shobô, maison d’édition qu’il apprécie particulièrement et dont il mimique naturellement le style.
Nous sommes vers 1957–1958 et à cette date, la maison d’édition Hibari Shobô peut fièrement se targuer d’avoir d’ores et déjà 10 ans d’âge (elle est fondée en 1947 par Yûji Andô). Jusqu’à cette période, elle publie des mangas de location et des livres illustrés, mais elle n’est pas encore spécialisée dans ce qui fera sa réputation : le kaiki manga, ou manga bizarre / étrange. Ce tournant s’effectue justement à la fin des années 1950. La peur au ventre, Shinichi Koga amène ses petites feuilles après avoir pris rendez-vous avec un éditeur de Hibari. Il ne sait pas ce que vaut son travail, ayant du se former lui-même. Il n’est pas rassuré par les locaux, qui ressemblent davantage à une drôle de petite usine. Peu importe, car le principal arrive enfin : son histoire est acceptée avec enthousiasme et grâce à l’argent obtenu, une nouvelle carrière semble se profiler pour lui.

(pour en savoir plus sur les débuts de Hibari Shobô, je vous conseille l’article de Nicolas sur son site https://www.mangabanashi.org/news.php?info=hibari-shobo-the-akahon-manga-era-hibari-no-manga-1947-1954)
Selon les sources, Kage naki han’nin est publié soit dans Yoru no Kiba, soit dans Kureneko. Les deux sont dans tous les cas des anthologies de manga de location (kashihon manga), dans lesquels l’on retrouve des histoires de plusieurs auteurs. À cette période, Shinichi Koga se fait appeler Shinsaku Koga. Il va publier plusieurs histoires, pas évidentes à retrouver aujourd’hui.





En 1958, Hibari Shobô lance Kaidan (via sa filiale Tsubame Productions), une autre anthologie de manga de location, qui va progressivement aller dans la direction de l’horreur, et sera suivie par une jumelle, All Kaidan, dès l’année suivante. Shinsaku Koga va beaucoup contribuer à ses deux revues, avec rien de moins que 39 histoires dans Kaidan et 32 dans All Kaidan (le tout sur 101 numéros pour Kaidan et pour 84 All Kaidan) entre 1959 et 1966. Présage du futur : il y croise le chemin de Kazuo Umezz — uniquement dans les pages évidemment — à trois reprises.
Quelques exemples :












Comme l’on peut l’apprendre dans la postface de L’enfant Frankenstein, publié par Huber Editions, Kaidan va attirer un public féminin, grâce aux “récits à tendance historique” de Gôseki Kojima (Lone Wolf and Cub) qui y sont publiés. Shinichi Koga, dans un premier temps, dessine ce qui lui plaît (plutôt du mystery), puis se plie de plus en plus aux exigences de Hibari Shobô qui surfe sur les tendances du moment. Le mangaka se dirige vers la mode des étranges histoires d’horreur et y trouve son compte, tentant de toujours ajouter des significations profondes à ses œuvres. Ses conditions de travail restent précaires : il n’a pas de bureau et dessine directement sur son kotatsu chez lui et Hibari refuse de l’augmenter au fil des ans, malgré ses demandes, prétextant la baisse d’intérêt progressive du public pour le kashihon. Shinichi Koga est alors payé 250 yens la page, sachant que son loyer s’élève à 10'000 yens par mois (ce qui nous fait au moins 40 pages à produire rien que pour le logement).
Réaliser son rêve d’être mangaka demande des sacrifices. Shinichi Koga patiente alors que sa trentaine se profile.
Dès 1965, Kazuo Umezz crée un phénomène avec ses histoires d’horreur publiées dans le magazine Shôjo Friend de Kôdansha. Le long sillon de la peur (déjà en 1961, Umezz publiait une histoire pour filles de femme-serpent avec Kuchi ga mimi made sakeru toki (Quand la bouche se ferme aux oreilles) dans le Niji n°29) s’enflamme et Shinichi Koga va en profiter. Le succès de Kazuo Umezz provoque des jalousies et le magazine shôjo Margaret de Shûeisha compte bien avoir une part du gâteau et se met à chercher un mangaka qui pourra lui aussi remplir de terreur les petites lectrices. Shinichi Koga saute sur l’occasion et se propose : il est engagé d’abord pour une série, puis deux, et pour plusieurs mois et… même quelques années au final ! Il participera également au magazine shôjo Ribon, aussi de Shûeisha, notamment avec d’horribles histoires fournies dans des petits livrets en supplément du journal et bien sûr absolument “charmants”. Si cette longue introduction était nécessaire, c’est parce que les volumes dont nous allons regarder les jaquettes reprennent majoritairement les histoires publiées à cette époque (voire avant).









Être mangaka, on peut l’oublier parfois, c’est un “vrai” travail à temps plein. Ce sont des demandes de l’éditeur à remplir et des pages à fournir. Sans doute, il a été expressément exigé de Shinichi Koga (qui laisse tomber le Shinsaku) qu’il s’inspire (et plus si affinités) du style de Kazuo Umezz, autant dans les scénarios que les dessins. Umezz parle de serpents ? Koga en fait autant ! Umezz produit une histoires avec des araignées ? Koga l’imite ! Au point, selon la légende, d’énerver plus d’une lectrice, voire même l’intéressé. Et Kazuo Umezz de préciser que Shinichi Koga n’est pas un pseudonyme sous lequel il exerce son art dans les magazines d’en face.
Progressivement, Shinichi Koga va heureusement réussir à imposer son langage et son talent, bien que la patience soit de mise. Ce sont des dizaines d’histoires, plus ou moins longues, qui s’additionnent dans son patrimoine. En 1973, il est choqué, comme tout le pays, par le film L’exorciste et obtient la possibilité de l’adapter en manga dans le Gekiga Roadshow du Shônen Champion d’août 1974. C’est la consécration qu’il attendait et qui l’emmènera ensuite sur la route d’Eko Eko Azarak. La suite, c’est encore une autre histoire.
Voilà qui nous emmène enfin vers la prochaine étape de notre destination : dès le début des années 1970, Hibari Shôbo va publier du Shinichi Koga en pagaille. Je vais me concentrer sur deux collections : celle que l’on va appeler des “cadres” (waku), et celle de Hibari Hit Comics. La première (qui précède la seconde) comporte plusieurs séries : celle des shirowaku (cadre blanc, mais dans les faits sans cadre) ; des kurowaku (cadre noir) et des irowaku (cadre de couleur). Ces derniers sont publiés vers 1975–76 et reconnaissables par leurs cadres de couleur jaune, rouge, vert ou bleu. Cela semble compliqué, mais ça ne l’est pas tant : il s’agit simplement des mêmes volumes reliés d’horreur, facilement identifiable par le public grâce à ces cadres sur les couvertures. S’ils sont parfois un peu remaniés, le but des différents cadres est surtout de vendre. Comme nous allons le voir tout de suite, Hibari Shobô n’était pas très scrupuleux.
Le Hibari Hit Comics est simplement un nouveau label plutôt de la fin des années 1970 (puis des années 1980) pour dynamiser les publications avec des rééditions et des inédits. Petite précision : même si cela ne sera majoritairement pas le cas ici, Hibari Shobô sortait beaucoup d’histoires non pré-publiées dans des magazines.
Concernant les “cadres”, on dénombre plus de 160 titres différents ! Ils sont cependant très difficiles à dater, car les petits malins de Hibari ne précisaient pas le nombre de réimpressions. Chaque tome était présenté comme une nouvelle édition. Par exemple, un tome publié en 1972, réimprimé trois fois et dont la 4ème impression sortait en 1974 était simplement présenté comme une édition datant de 1974. Selon Tokushiga Kawakatsu, dans la postface de L’enfant Frankenstein, cela permettait d’éviter d’avoir à payer les droits d’auteur lors des réimpressions. Il faut bien s’imaginer une autre époque : le système d’ISBN n’existe pas encore au Japon (il n’arrivera que dans les années 1980) et les petites magouilles passaient probablement sans trop de peine.
Parmi ces 160+ titres, Shinichi Koga en signe 32. Il est un des auteurs les plus prolifiques, aux côtés Kôji Sugito (30 titres), Miyuki Saga (20) et Shintaro Goto (14). Le label Hibari Hit Comics accueille, quant à lui, plus de 150 titres, dont Shinichi Koga ne signe que 13 volumes. Kôji Sugito et Miyuki Saga restent au firmament avec respectivement 19 et 26 titres. On notera la montée de Hideshi Hino, avec 14 “hits” à son compte et la présence de Norikazu Kawashima avec 29 titres ! Toujours de l’avis de Tokushiga Kawakatsu, le public de Hibari Shobô était extrêmement féminin, gagné à la cause par les précédents Kaidan et les histoires d’horreur des magazines shôjo. Donc, considérez sans peine que l’on parle de shôjo d’horreur dans l’ensemble. (et pour plus de simplicité, je dirai kurowaku pour les cadres, vu que le cadre noir est quand même le plus représentatif de l’esprit de la collection)



Impossible de ne pas commencer avec Shiro hebi-kan (La maison du serpent blanc) en deux volumes (on a ici un bon exemple des versions sans cadre / avec cadre noir), qui reprend l’histoire publiée dans le Margaret par Koga en 1966 pendant une vingtaine de semaines. Ce sont les débuts du mangaka dans le magazine. À noter qu’en parallèle, on le retrouve également dans le Bessatsu Margaret (mensuel et non hebdomadaire comme le Margaret) avec des one-shots.


Cette histoire évoque forcément celles de Femmes-serpents d’Umezz (ici un père de famille écrase un serpent blanc, la famille de la bête va se venger notamment sur la fille du conducteur). L’occasion de ne pas oublier les similarités des dessins avec ceux de Kazuo Umezz, comme l’on peut le voir par exemple ici.



Il en va de même pour l’intérieur, le style de Koga évoque forcément celui de Kazuo Umezz, quelques exemples de Koga ci-dessous :




Et ici Mama ga kowai! d’Umezz :


Pour se démarquer, il faudra pousser le bouchon plus loin à chaque fois, ce qui explique peut-être en partie à quel point toutes ces histoires vont devenir de plus en plus horribles. Je ne vais pas faire des comparaisons à chaque fois, sinon on ne s’en sortira pas. Comme Shiro hebi-kan semble avoir contenté le public, Shinichi Koga enchaîne ensuite dans le Margaret avec Shiro hebi no kyōfu (La peur du serpent blanc) pendant une quinzaine de semaines. On retrouve ces chapitres dans ces deux volumes, avec toujours une histoire de petite fille subissant la vengeance d’une Femme-serpent.


Après la figure de la Femme-serpent, Shinichi Koga enchaîne sur les araignées avec Madara no doku gumo (Araignée venimeuse mouchetée) dans le Margaret pendant une quinzaine de semaines entre la fin 1966 et le début de 1967. Une araignée ramenée par erreur depuis l’Amérique du Sud transforme une famille en humains-araignée, jusqu’à ce qu’ils reçoivent la visite d’une cousine qu’ils vont se faire un plaisir d’attaquer. Hibari Shobô en fait une compilation dans un volume du même nom, à gauche dans la série “cadres” et à droite plus tard dans Hibari Hit Comics :


On constate très bien l’évolution en quelques années : le visage de droite ressemble infiniment plus au trait de Shinichi Koga tel qu’on le connaît aujourd’hui. Le contenu du volume est le même entre les deux éditions, avec en bonus l’histoire courte Kurai ana no naka de (Dans un trou sombre) dont je ne suis pas sûre de l’origine. Le choix de l’araignée n’est encore une fois pas une surprise, car Kazuo Umezz a dessiné Benigumo (Araignée rouge) une année auparavant (fin 1965 et début 1966) dans le Shôjo Friend, avec succès.
Pour le plaisir des yeux, des jaquettes de Benigumo par Kazuo Umezz :


Dans les faits, Madara no doku gumo ressemble à ça :



Tandis que Benigumo ressemble à ceci. On peut voir ici la terreur provoquée par l’idée de se transformer soi-même en araignée.



Quoiqu’il en soit, je peux vous dire qu’en 1999, Shinichi Koga sortira Majo Gumo (L’araignée sorcière) qui est génialement infâme si vous souffrez d’arachnophobie. (cela pourrait être un one-shot sympa à sortir si jamais, hum hum)



Mais revenons à nos moutons avec Hakui no dorakyura (Dracula en blouse blanche), qui sort à nouveau dans les deux collections chez Hibari Shobô. C’est la réunion des quelques chapitres qui constituent cette histoire sortie (toujours) dans le Margaret en 1967. Cette fois-ci, une jeune fille à l’hôpital voit sa voisine de chambre transformée en momie. Alors qu’elle se rend à la morgue pour déposer une fleur sur sa dépouille, elle va découvrir qu’il y a de la femme vampire derrière tout ça. Le volume contient en bonus Yâo Ga (Papillon de nuit yokai) paru dans le Bessatsu Margaret de septembre 1966 dans la collection Kurowaku (à gauche), remplacé par Kurokami no noroi (La malédiction des cheveux noirs), paru dans Fanny (ou doit-on l’écrire Funny ?) en 1968 dans le Hit Comics (à droite).





Noroi no kao ga chichichi to mata yobu (Le visage maudit appelle à nouveau : « Chichichi », traduction non-contractuelle) sort aussi dans le Margaret en 1967 et ces chapitres sont réunis ici. C’est l’histoire d’une méchante poupée et de visages qui apparaissent sur votre corps pour vous maudire (la grosse ambiance). Le manga contient également l’histoire Mîra no kage (L’ombre de la momie).



L’histoire de Noroi no kao ga chichichi to mata yobu ressortira dans les années 1980 chez Kosaido avec des jaquettes complètement folles :


Saru shōjo (La fille singe) reprend le flambeau dans le Margaret pour la toute fin 1967 et le début de 1968. Un neurochirurgien pas très sympa décide de greffer le cerveau d’une guenon dans le corps d’une jeune fille qu’il a adoptée pour l’occasion. Bien évidemment, ce n’était pas une très bonne idée. La version Kurowaku contient également Kubitsuri ningyō (Poupée pendue) paru dans un numéro spécial été de 1967, chapitre remplacé par Kyôfu no komori-uta (La berceuse de la peur) chez Hit comics.





Après les singes, voilà les éclairs avec Inazuma Shôjo (La fille éclair) : sorti dans le Margaret en 1968 en plusieurs chapitres réunis ici. Une vielle femme trahie et morte foudroyée revient se venger sur la descendante de la famille responsable et finit par prendre sa place en lui volant sa jeunesse. La version kurowaku contient aussi Chi chi ga hoshî (Du sang, je veux du sang), du Margaret en 1967 et Shi o yobu kagami (Miroir qui appelle la mort) d’un numéro spécial du Margaret en avril 1969 (rien ne se perd, tout se recycle). Côté Hit Comics, on a aussi Chi chi ga hoshî (Du sang, je veux du sang) en plus, ainsi que le très efficace Kyôfu no zaimoku shôjo (Fille de bois effrayante) paru dans le Margaret en novembre 1968.











Hiru ga suitsuku (Les sangsues, c’est nul) provient du Margaret de mi-1968. Un ancien traitement familial à base de sangsues qui sucent le mauvais sang du corps tourne à la catastrophe ! Le volume kurowaku est agrémenté de Noroi no kaibō-shitsu (Salle de dissection des malédictions) paru dans le Bessatsu Ribon au printemps 1968. On est toujours à fond dans le shôjo d’horreur. À la place, on a Gaki (Gosse) dans le Hit Comics, apparemment une histoire triste d’une mère qui enferme son enfant dans la cave pour qu’il meurt de faim (!). (la version Hit Comics ajoute parfois un Chi ga hoshî (Je veux du sang) en préfixe)





Kyōfu no kuchibashi (Bec de peur) est un autre gros morceau du Margaret qui couvre la période de fin 1968 et début de 1969. Si vous avez la phobie des oiseaux, vous serez servis, car l’on a ici une déclinaison sur tout ce qui peut faire peur chez les corbeaux. Suite à une malédiction, la jeune héroïne va subir la vengeance (injustifiée) d’une famille élevant ces magnifiques volatiles. L’illustration pour le Hit Comics (à droite) ressemble bien plus à l’ambiance du manga. C’est suffisamment rare pour être signalé : cette histoire a été traduite en anglais par des fans (je dis “des fans”, mais c’est peut-être une personne toute seule, j’ignore son / leur identité).





Imomushi (La chenille) est un très bon exemple de remaniement : entre les publications dans les magazines et les éditions en volume relié, l’auteur en profite pour apporter des corrections et des améliorations. En l’occurrence, l’histoire principale de cet exemplaire (Imomushi) semble être un assemblage de Noroi no kobu shōjo (Fille à la bosse maudite) et de Mushi shôjo (La fille insecte), les deux issus du Ribon (en février et mars 1968). Pour citer un autre cas bien plus tardif : les deux contributions de Shinichi Koga au Gekiga Roadshow (section consacrée à l’adaptation de films en mangas dans le Shônen Champion), respectivement de L’exorciste et La maison des damnés, seront fusionnées dans Kyōfu! Chi no yakata chez Rippu Shobô en 1982. Pour en revenir à Imomushi, l’ouvrage contient également Yôkai no hi matsuri (Festival du feu de Yokai) de 1968 dans le supplément d’août d’une revue nommée Inakappe taishō shōgakurokunensei (Général Inakappe, école primaire de 6ème année).



Nama chiwosuu yōjo (Petite fille suçant du sang frais)(miam) en deux volumes (un troisième était annoncé mais n’est jamais arrivé) est sorti chez Kurowaku et Hit Comics. C’est apparemment une sombre histoire de grenouilles tétant du lait humain et de la cadette de la famille qui préfère sucer du sang. Tout un programme ! C’est possiblement un Hibari inédit et non publié auparavant dans un magazine (si c’est faux, corrigez-moi) ?








Nekonome ningyō (Poupée aux yeux de chat) contient trois histoires : Nekonome ningyō (Poupée aux yeux de chat), qui est une version beaucoup plus longue de Yami ni Hikaru Me (Des yeux qui brillent dans le noir) paru dans un numéro spécial été du Margaret en 1966 ; Hito-gui ki oni (Démon du bois mangeur d’hommes)(miam bis) ; Hebi otoko (Homme serpent). L’utilisation de la fille-chat n’est pas une surprise, car on la retrouve déjà chez Kazuo Umezz (et d’autres, mais restons sur Umezz). En fait, Umezz ne commence pas ses publications horrifiques dans le Shôjo Friend avec une femme-serpent, mais avec une fille-chat, dès mi-1965 avec Neko-me no shōjo (La fille aux yeux de chat).

Nekonome ningyō (Poupée aux yeux de chat) raconte une histoire de faux-semblant entre une jeune fille et la rumeur d’une bakeneko attaquant les fillettes du quartier. Dans Hito-gui ki oni (Démon du bois mangeur d’hommes), on suit un homme (ça change !) aux prises avec une figure récurrente chez Koga, l’arbre maléfique ! Pour finir, avec Hebi otoko (Homme serpent), on suit à nouveau un homme (!) qui va être confronté avec une famille-serpent. Comme vous pourrez le voir sur les images ci-dessous, ces trois histoires ont reçu une fantrad en anglais.









Pour le plaisir, un peu de Kazuo Umezz avec Neko-me no shôjo



Pour rester dans les chats, on enchaîne sur Bakeneko no noroi (La malédiction du Bakeneko) qui contient Bakeneko no noroi (La malédiction du Bakeneko) issu du numéro de juin 1968 du fameux Inakappe taishō shōgakurokunensei (Général Inakappe, école primaire de 6ème année) ; Hebi ningyō no noroi (La malédiction de la poupée serpent) d’un numéro spécial Nouvel An du Ribon en 1968 (le nom n’est pas très clair et a possiblement changé selon le temps) ; Ikite iru ningyō (Poupée vivante) du numéro spécial Nouvel An du Margaret en 1967.



Dans On’na tokage (Femme lézard), on retrouve On’na tokage (Femme lézard) paru dans le magazine Shôjo Comic (Shôgakukan) en 1970 ; Hebi Sensei (Serpent Sensei) qui vient du Ribon en août 1968 ; Nuri kome rareta shitai (Cadavre enduit) sorti dans un Margaret (spécial) en septembre 1969. Une version Hibari Hit Comics arrive plus tard sous le nom de Kyōfu no on’na tokage (Femme lézard effrayante) avec une incroyable illustration en jaquette. Cette version contient en plus Noroi no warai-men (Le visage rieur du fantôme).
On a de quoi s’amuser dans ce volume avec des lézards qui sucent des seins, une tache de naissance révélatrice sur un visage, une femme-serpent de l’enfer, une star au visage déformé par un accident de voiture ou encore un touchant garçon fantôme.














Noroi no futatsu-gao (Les deux visages d’une malédiction) contient Noroi no futatsu-gao (Les deux visages d’une malédiction) ; Kyōfu no komori-uta (La berceuse de la peur, qui sera repris dans Saru Shôjo version Hit Comics) et Ōkami shōjo Mari (La fille-loup Mari) issu d’une édition supplémentaire du Margaret en septembre 1971 (mais est peut-être une version remaniée d’une histoire plus ancienne de 1966).

Dans Noroi no futatsu-gao (Les deux visages d’une malédiction), un chirurgien soigne une reine de beauté défigurée en lui transplantant de la peau d’un cadavre. Kyōfu no komori-uta (La berceuse de la peur) est particulièrement atroce, vu qu’il parle d’une jeune femme chargée de garder un bébé, sauf que... le bébé meurt ! Ōkami shōjo Mari (La fille-loup Mari) ne semble pas très joyeux et parle de deux sœurs dont l’une est en situation d’handicap après avoir été attaquée par un chien plus jeune (l’autre va la maltraiter).



Watashi no sôshiki (Mes funérailles) contient Watashi no sôshiki (Mes funérailles), une histoire parue dans le Shôjo Friend pendant quelques semaines début 1970. Eh oui, Shinichi Koga dans le Shôjo Friend ? Peut-être a-t-il été appelé à la rescousse, vu que Kazuo Umezz était parti vers le Teen Look et d’autres à cette époque ? Il y a aussi Kobi to Shôjo (Dwarf Girl) du Ribon de mai 1968 ; Kurokami no noroi (La malédiction des cheveux noirs) du Fanny aussi en 1968 (aussi présent dans Hakui no dorakyura (Dracula en blouse blanche) version Hit Comics) ; Kyōfu no zaimoku shōjo (Fille de bois effrayante) dont on a déjà parlé avec Inazuma Shôjo version Hit Comics (oui, vous avez du le comprendre, c’est le bordel).



On a à nouveau un programme panaché avec une femme qui veut se venger de la personne qui a fait perdre la vue à son petit ami, une jeune fille maltraitée par sa belle-mère qui la force à aller dans la niche du chien (…) ou encore un accident de voiture couplé à une prothèse de jambe fantôme. Bloutouille a fait un thread sur ce volume, donc je vous laisse aller voir les images chez lui : https://x.com/bloutouille/status/1758608179229843504
On passe ensuite à Keda mono yashiki (Le manoir de la bête) qui devient Bakemono yashiki (Le manoir de la bête) dans la collection Hibari Hit Comics, car pourquoi faire simple quand on peut changer un peu le nom au lieu de l’illustration et peut-être convaincre les gens de repasser à la caisse (en vérité, la fin a été changée dans Hit Comics en supprimant les deux dernières pages) ! Les deux versions contiennent Keda mono yashiki (Manoir de la bête) et Shibito yashiki ( La maison du mort), une version remaniée de Noroi no nemuri shiroi me no shōjo (Sommeil maudit : Fille aux yeux blancs) du Ribon en avril 1968.



Dans Keda mono yashiki (Le manoir de la bête), un beau jeune homme, hanté par la mort de sa petite amie, tombe sous le charme d’une femme qui ressemble comme deux gouttes d’eau à celle-ci, mais qui n’aime que les hommes laids, alors il décide de se défigurer.



Au tour de Shibitojima ni saku hana wa… (Les fleurs qui fleurissent sur l’île de l’homme mort…) qui contient Shibitojima ni saku hana wa… (Les fleurs qui fleurissent sur l’île de l’homme mort…) issu du Shôjo Friend en 1970 sur une oeuvre originale de Ken Wataru avec des joueuses de volley-ball ; Futatsu no kao kage ga susurinaku (Deux visages, des ombres qui sanglotent) du Margaret début 1968 ; Noroi no warai-men (Le visage rieur du fantôme) dont on a déjà parlé avec On’na tokage (Femme lézard) version Hit Comics.



On va faire un tir groupé avec Kyūketsu kumo otoko (L’homme araignée vampire), Shibito no ie (La maison du mort) et Shi ni monogurui (Désespérément fou, en deux volumes). On voit tout de suite que l’on a droit à des ressorties d’histoires plus anciennes, époque Shinsaku Koga / kashihon / Kaidan.




Dans Kyūketsu kumo otoko (L’homme araignée vampire), l’on trouve Kumô (L’homme araignée), un ancien kashihon réimprimé et Kyūketsuki (Vampire) qui porte un titre identique qu’une histoire du Kaidan n°51 de Koga, mais je ne suis pas sûre s’il s’agit de la même chose. Concernant Shibito no ie (La maison du mort), il regroupe Shibito no ie (La maison du mort) et Shûnen (Obsession). Dans la première histoire, on a un voleur qui se fait passer pour un vampire auprès de son complice pour garder l’argent volé (ça serait à vérifier, évidemment). Quant à Shi ni monogurui (Désespérément fou), on suit plusieurs aventures d’un détective privé.


Watashi no hada ni noroi no kao ga (Un visage maudit sur ma peau) comporte trois volumes et reprend deux éléments récurrents chez Shinichi Koga : des horribles visages qui apparaissent sur différentes parties du corps et les crapauds à la peau verruqueuse. C’est une mauvaise blague qui tourne au vinaigre : une jeune fille phobique des crapauds pense en avoir mangé une cuisse et finit par en devenir un elle-même, avant de mourir. Pour se venger, une malédiction va poursuivre la coupable et sa famille.



Cette histoire sera republiée au début des années 1980 avec des ajouts, mais cette fois-ci dans la collection Lemon Comics de Rippu Shobô. Je ne peux m’empêcher d’ajouter les magnifiques et horribles jaquettes (et de rêver d’une sortie française dans un volume relié ?).









Kurayami (Cécité) compile Kurayami (Cécité) ; Gaki (Gosse) (vu dans Hiru ga suitsuku (Les sangsues, c’est nul) version Hit Comics) ; Kumo Otoko (L’homme araignée) ; Hebi Shôjo (La fille serpent). L’histoire Kurayami (Cécité) s’inspire de Yaneura no sanposha (Le promeneur dans le grenier) d’Edogawa Ranpo. C’est pourquoi, on y retrouve un homme qui devient obsédé par une femme et l’espionne depuis un trou dans le grenier (et lui verse sa salive dans la bouche pendant qu’elle dort, ça c’est de la vraie HORREUR).


Furuetenemure (Dormir à poings fermés), en deux volumes, serait une reprise de vieux kashihon des années 1960. En tout cas, c’est une histoire continue avec un saut de quelques années entre les deux tomes. Le style adopté laisse effectivement à penser qu’on est sur une oeuvre plus ancienne. Le titre est le même que celui de la version japonaise du film Chut… chut, chère Charlotte, je ne sais pas si c’est fait exprès.


Une jeune fille fait tomber la poussette de son petit frère depuis une falaise et le remplace par un autre bébé qu’elle a trouvé. Evidemment, le petit frère de remplacement est maléfique ! Dans le second volume, on suit toujours la même héroïne, mais qui a maintenant des soucis au lycée.



Et on termine ce voyage avec Hebi (Serpent) en 3 volumes, réédité en tant que Shiro Hebi Shôjo (Fille serpent blanc) chez Hibari Hit Comics. Je vous laisse vous régaler de ces jaquettes de toute beauté.






Est-ce que ça ne donne pas envie ? Comme l’on s’en doute, il y a de la femme-serpent. Une orpheline voit sa sœur cadette transformée après une morsure de serpent, puis est adoptée par une famille riche… où il semble aussi avoir du serpent dans l’air.



Et avec ceci, nous avons atteint notre destination ! Après Eko Eko Azarak, Shinichi Koga va continuer de créer des mangas d’horreur de plus en plus aboutis. Un autre voyage dans sa bibliographie des années 1980 vaudrait clairement le détour. Le succès aidant, lors d’une soirée d’Akita Shôten (l’éditeur du Shônen Champion), Shinichi Koga aura la chance de croiser Osamu Tezuka. Dans une histoire idéale, il serait allé lui parler de cette lettre détruite, savoir si le maître en avait gardé ne serait-ce qu’un minuscule souvenir… Mais, même si une biographie s’avère toujours romancée, dans le cas présent, Shinichi Koga n’osa pas franchir le pas d’adresser la parole à celui qu’il admirait tant.
Pendant ces dernières, Shinichi Koga habitera toutefois à Higashikurume, tout comme l’avait fait Osamu Tezuka avant lui. Pendant ses promenades, Koga prenait alors plaisir à passer devant la maison de son idole, en se disant que c’était un miracle d’être, d’une certaine façon, aussi près de lui.
Shinichi Koga s’éteint le 1er mars 2018, à l’âge de 81 ans.
Hibari Shôbo publiera des mangas jusqu’en 1988 et passera la main du shôjo d’horreur notamment aux magazines spécialisés, avec l’apparition du Gekkan Halloween et tous ceux qu’il a inspiré. Hibari ferme ses portes officiellement en 2004.
Je n’ai parlé dans cet article que d’une quarantaine de tomes (sur 300 ou plus) issus de ces deux labels. Il va sans dire qu’il reste donc un montagne à explorer, surtout concernant des auteurs et des autrices bien moins connus que Shinichi Koga.

Alors qui était Shinichi Koga ? Bien plus qu’un copieur de Kazuo Umezz, qui vient de le rejoindre au paradis des mangakas d’horreur. Les éléments biographiques de cet article sont entre autres tirés du manga Kaiki Manga-dô qui réunit plusieurs portraits de créatrices et créateurs de kaiki manga (manga étrange), dont Shinichi Koga fait partie.

Bien que l’auteur se soit entretenu avec l’intéressé, cela ne représente que l’histoire d’une vie, qui plus est déformée par ma propre lecture. Vivre une vie, ou la lire / l’entendre, sont des choses bien différentes. Malgré tout, j’espère que vous aurez passé un bon moment et parler de Shinichi Koga, c’est toujours le faire revivre pour quelques instants.
J’adresses des énormes remerciements à Bloutouille pour son aide et je vous recommander d’aller le suivre si vous êtes sur X-Twitter. Je vous présente d’avance mes excuses s’il y a des erreurs dans cet article, ça n’a pas été évident de regrouper tout ça, surtout que j’ai du faire une grande pause avant de compiler toutes les infos, donc il y en a sûrement. Merci pour votre lecture et à bientôt j’espère :).